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EMMI PIKLER : pédagogie Loczy
SA FORMATION (1)
(1) Extrait du Texte de J. Falk « Lóczy a 40 ans » 1986 - disponible à l'Association
C'est, dans la Vienne des années dix neuf cent vingt qu'Emmi Pikler fait ses études universitaires et prépare son diplôme de pédiatre, à la Clinique Pirquet. Elle a toujours considéré et mentionné le Professeur Pirquet et le Professeur Salzer, chirurgiens-pédiatres à l'Hôpital Mauthner Markhof, comme ses premiers maîtres. C'est là qu'elle s'est familiarisée avec la conception de la physiologie et de la prévention qui devait, par la suite, déterminer toutes ses activités.
Etudiant la pathologie, le diagnostic et la thérapie, elle observait aussi l'intérêt du professeur pour le mode de vie des enfants, dont il faisait prendre conscience à ses élèves et à ses collaborateurs. Par exemple, en plus des notions de diététique et de régime alimentaire, les jeunes médecins devaient d'abord s'initier aux soins et, plus exactement, aux moyens de rendre ces soins les moins pénibles possible pour les nourrissons et les petits enfants. Une règle stricte existait déjà qui interdisait de donner, même au nourrisson malade, une cuillerée de plus que ce qu'il acceptait volontiers au cours de ses repas.
Les enfants malades, en fonction de leur maladie et de leur état, n'étaient pas obligés de passer leurs journées au lit, mais des " coins de jeux " étaient aménagés même pour les plus jeunes d'entre eux, ce qui, à l'heure actuelle, n'est pas encore mis en place dans beaucoup d'établissements pédiatriques.
L'habillement même des nourrissons différait de ce qui était habituel à cette époque, et le fut encore longtemps : afin qu'ils puissent, par exemple, se déplacer librement ou bouger, leurs jambes n'étaient pas emprisonnées dans des langes mais leurs couches étaient ajustées pour former une culotte. Les enfants y compris les nourrissons, passaient plusieurs heures par jour, même en hiver, à l'air libre, sur les petits balcons de la clinique ou aux fenêtres transformées en balcons. Les enfants étaient bien protégés contre le froid mais, au lieu de les envelopper dans des couvertures, on les mettait dans des sacs de couchage.
Emmi Pikler avait l'impression qu'à la clinique Pirquet, " ils avaient déjà institué de manière exemplaire, la collaboration avec les jeunes enfants " comme elle l'écrivait dans la préface de sa monographie sur le développement moteur. Mais elle pensait que le " premier commandement " de la section de chirurgie de Salzer était encore plus exemplaire, à savoir qu'il était possible de pratiquer sur un nourrisson ou un jeune enfant l'examen ou les soins les plus douloureux sans qu'il pleure si la personne qui le faisait, maniait l'enfant avec des gestes délicats, avec sensibilité, prêtant attention à cet enfant vivant, fragile et réceptif qu'elle avait entre les mains.
A la section de chirurgie de cet hôpital de faubourg, l'attention d'Emmi Pikler était attirée par les statistiques sur les accidents. Chez les enfants du quartier ouvrier environnant, où les enfants jouaient et couraient dans les rues, grimpaient aux arbres et s'accrochaient aux tampons de trams, il y avait beaucoup moins de fractures et de commotions qu'ailleurs et, en particulier, que dans les beaux quartiers de la ville, là, les accidents se produisaient soit à l'intérieur de la maison, soit au cours des promenades.
L'enfant - discipliné et exagérément protégé d'une famille distinguée - était alors conduit, en cas d'accident chez un chirurgien renommé, et, en général, une gouvernante zélée s'occupait de lui tout le temps de son hospitalisation. A cette époque déjà, Emmi Pikler était persuadée que l'enfant qui se déplace librement, sans restriction, est plus prudent et apprend mieux à tomber sans risque, tandis que l'enfant exagérément protégé et dont les mouvements sont limités, est plus facilement en danger, faute d'avoir expérimenté ses propres capacités et leurs limites.
SES IDEES (1)
(1) Extrait du Texte de J. Falk « Lóczy a 40 ans » 1986 - disponible à l'Association
Très tôt, Emmi Pikler avait pressenti que le nourrisson, pour prendre, garder, ou abandonner les différentes positions du corps, pour changer de posture ou se déplacer, ou encore pour apprendre à se mettre debout et à marcher, n'avait aucun besoin de l'intervention de l'adulte, que l'enfant passif devenait une personne active de même qu'elle doutait que cette intervention puisse accélérer le développement du nourrisson. Et d'ailleurs, si tel était le cas, elle ne pensait pas que cela constituait un avantage au point de vue de son mode de vie et son développement.
Elle fondait ses opinions non seulement sur ses expériences professionnelles, mais aussi sur les idées de son mari pédagogue progressiste. Lors de la naissance de leur premier enfant, au début des années trente, elle décida de ne pas hâter son développement, de respecter son rythme individuel et de lui assurer, dès le début, la possibilité de prendre des initiatives, de se mouvoir librement et de jouer à sa guise. Ses parents ne placèrent jamais l'enfant dans une posture qu'il n'était pas encore capable de prendre ou d'abandonner tout seul, ils ne lui firent jamais faire de mouvements divers et ils s'abstinrent d'exercer une influence directe sur son développement moteur. En revanche, ils créèrent les conditions lui permettant de vivre dans la sérénité et l'harmonie, lui assurant l'espace nécessaire aux mouvements libres, et même un peu plus que ce dont il était capable de profiter ; ils veillèrent à ce que les vêtements ne l'empêchent pas de poursuivre ses activités, à ce que ses jouets, dont il se servait sans l'aide de quiconque, lui offrent des expériences adéquates, enfin à ce que, tout en se sentant entouré des soins affectueux de ses parents, il ait envie d'essayer toutes sortes d'activités et de connaître le monde et lui-même.
Naturellement, Emmi Pikler ne se serait jamais décidée à tenter cette expérience si elle n'avait pas été convaincue de la justesse de son hypothèse ; elle estimait que, dans de telles circonstances, l'enfant qui suit son rythme propre et fait ses propres expériences, est capable de mieux apprendre à s'asseoir, se mettre debout, marcher, jouer, parler, réfléchir, etc. que celui que l'on incite à atteindre les différents stades de développement que les adultes estiment correspondre à son âge.
Etant donné que le développement de leur enfant répondait, dans tous les domaines, à l'attente de son mari et à la sienne, Emmi Pikler, de retour de Hongrie, devenue pédiatre de famille, a encouragé dans le même esprit, pendant une dizaine d'années, l'éducation de plus de 100 nourrissons et petits enfants.
En prodiguant aux parents des conseils mûrement réfléchis et très détaillés, fondés sur ses observations régulières et continues, elle les a aidés, avant tout, à avoir confiance dans la capacité de développement de leur enfant. En tenant compte des besoins de l'enfant, ils organisaient soigneusement un mode de vie tranquille et harmonieux, en respectant son rythme de sommeil et d'éveil, en établissant un régime alimentaire équilibré mais simple, défini avant tout par l'appétit de l'enfant. Ils déterminaient aussi combien de temps l'enfant pouvait rester dehors, hiver comme été.
Ils n'intervenaient ni dans ses mouvements ni dans ses jeux, ne lui faisaient pas faire d'exercices mais mettaient à sa disposition un endroit adéquat, même dans les appartements les plus petits. Les meilleures occasions d'être régulièrement avec leur enfant leur étaient offertes, essentiellement, par les repas, les changes, le bain et l'habillage.
Au cours de toutes ces activités, les parents tentaient de ne pas se presser et de prendre en considération les besoins et les réactions de l'enfant, même si sa participation aux soins ralentissait les opérations : ils pouvaient alors savourer ce qui se passait entre eux.
Emmi Pikler a rassemblé l'expérience de toutes ces années dans son premier livre " Que sait faire votre bébé ? " dont dix éditions ont été publiées en Hongrie et à l'étranger.
Emmi Pikler pouvait constater que les enfants étaient généralement gais, curieux, vifs et actifs, qu'ils se développaient harmonieusement et que leurs rapports avec leurs parents et leur entourage étaient bons. Quant aux parents, eux aussi étaient contents. Bien que le système d'éducation qu'elle proposait ait exigé d'eux de réfléchir à l'organisation de leur vie et de leur environnement plus qu'ils ne le faisaient habituellement, pour que l'enfant soit et se sente vraiment en sécurité, les parents acceptaient de mettre en pratique ses conseils et étaient fiers et satisfaits de leur rôle. Ils étaient convaincus du bien-fondé de ses idées et constataient que leur enfant acquérait des expériences intéressantes, sans que leur intervention, au cours de ses activités indépendantes : ils ne pensaient pas que, pour pouvoir se considérer comme de bons parents, ils devaient toujours être à proximité de leur enfant, ni qu'ils étaient obligés de faire tout le temps quelque chose avec lui. Les enfants qui sont absorbés par leurs essais et leurs activités indépendants, n'exigent pas de leurs parents qu'ils soient présents en permanence, qu'ils participent à leurs activités, les distraient ou les aident continuellement puisque, même sans eux, ils ne se sentent pas impuissants. Les parents, à leur tour, constatant l'activité sereine et indépendante de leurs enfants et conscients de la valeur de cette activité, peuvent sans sentiment de culpabilité, s'occuper d'autre chose, de leur passe-temps, par exemple, tout en restant évidemment à portée de vue et de voix .Ils ne se sentent pas esclaves de leurs enfants et ne le considèrent pas comme leur jouet. Ils trouvent plaisir à observer son activité et son développement, sont heureux en sa compagnie et dans leurs rapports avec lui. Ils attendent avec impatience le moment de se retrouver ensemble et si l'enfant essaye de prolonger ces moments en jouant, les parents ne considèrent pas cela comme de l'agressivité ou un comportement agaçant.
Les " enfants Pikler " d'autrefois ont grandi depuis longtemps et ont prouvé, par leur vie, leur travail et, ce qui n'est pas le moins important, l'éducation qu'ils donnent à leurs enfants et leur comportement de parents, que l'aide que leurs propres parents avaient reçue avait été bénéfique.
LA CREATION DE L'INSTITUT PIKLER (LÓCZY) (1),
des objectifs précis mais des débuts difficiles :
(1) Extrait du Texte de J. Falk « Lóczy a 40 ans » 1986 - disponible à l'Association
Lorsqu'en 1946 Emmi Pikler est chargée d'organiser et de diriger la pouponnière de la rue Lóczy, elle se fixe trois objectifs :
Elle était enthousiasmée d'avoir à prouver, même si cela était beaucoup plus difficile que dans une famille, qu'il était possible de créer, à l'intérieur d'une institution, les conditions permettant aux nourrissons et aux petits enfants de se développer normalement, tant au point de vue physique que psychique. Elle était certaine que le fil conducteur qui lui permettrait de mener à bien cette tâche, résidait dans les principes et les méthodes définies pendant ses observations dans le cadre de l'éducation en famille.
Si les enfants, élevés dans l'Institut se développaient bien, cela constituerait la véritable pierre de touche de ses principes et de ses méthodes : on ne pourrait plus penser que les " enfants Pikler " d'autrefois se développaient bien - malgré ses principes et ses méthodes - parce que les parents n'appliquaient pas peut-être ceux-ci, d'une façon conséquente ou bien qu'ils les contrebalançaient d'une autre manière. Le deuxième objectif était donc la mise à l'épreuve de son système d'éducation.
Le troisième était de pouvoir faire des observations longitudinales sur le développement de nourrissons et de petits enfants bien portants et les conditions de ce développement, et cela non dans une situation expérimentale mais dans les circonstances de la vie quotidienne qui sont bien définies, que l'on peut décrire et contrôler.
Grâce aux notes d'Emmi Pikler et de Maria Reinitz, sa collègue devenue la première nurse en chef de Lóczy, nous connaissons les conditions difficiles dans lesquelles le travail a commencé à la pouponnière qui, au début, comptait 35 places au total :
A propos des locaux: " Dans chaque pièce, il y a des lits d'hôpital blancs avec des oreillers durs et des couvertures rêches. Seuls les sacs de couchage bleu clair sont jolis. Le matin il fait froid, les enfants n'ont pas de pantoufles et il n'y a pas d'étoffe pour en faire. L'eau pour le bain doit être chauffée dans la cuisine d'où il faut la monter. Il n'y a pas une goutte de lait ". " J'essaie de mettre de côté 10 boîtes de conserve qui serviront de bols et que seuls les enfants utiliseront. Il n'y a pas de verre gradué - écrit Maria Reinitz - et pourtant je ne cesse d'en réclamer. Le 26 juillet, on nous a envoyé du centre, deux boîtes de conserves marquées de six encoches et j'ai dû signer que je prenais possession de deux verres gradués !
Mais avec cela, on ne peut mesurer avec précision, il faut donc utiliser la louche ; si elle n'est pas tout à fait remplie, cela correspond à 150 grammes. Il est difficile d'exiger un travail précis dans ces conditions ".
A propos du personnel, voici un autre extrait du journal de Maria Reinitz ; " Au cours de ces trois semaines, deux femmes de ménage, deux lingères et deux filles de cuisine ont quitté la maison. Pour le moment nous avons une femme de ménage qui ne travaille guère : elle a touché un si petit salaire que cela ne vaut pas la peine de travailler. La nourriture ne suffit pas non plus. La lingère n'accepte de travailler que parce que nous gardons sa petite fille ici…La biberonnière ne cesse de répéter : " Bien, bien, je ferai exactement comme tu le dis, tu peux monter tranquillement ". Mais lorsque je redescends dans la cuisine, il n'y a pas d'eau chaude. Le morceau de tissu nécessaire à la préparation du jus de carotte n'a pas été ébouillanté. Je suis, semble-t-il, incapable de lui faire comprendre l'importance de cette opération. Elle le fait parce que je suis là mais estime certainement que c'est tout à fait superflu et s'en abstiendra sûrement la prochaine fois ".
Mais le plus grand souci est causé par les nurses. D'après Emmi Pikler : " c'est avec d'énormes difficultés que nous avons lutté pour des choses absolument indispensables et nous avons encore eu plus de mal pour accomplir du bon travail. Les nurses détestaient ce style de travail qu'elles ne connaissaient pas ". Citons encore Maria Reinitz : " Les nurses sont pleines de méfiance. Elles ne sont pas surchargées de travail, mais l'idée ne leur viendrait pas de faire quelque chose avec soin et attention. Elles ne s'occupent pas des enfants, elles les changent, les " font manger " le plus rapidement possible, avec le moins de mouvements possibles et, si elles en ont la possibilité, font tout faire par le personnel de service. D'après elles, la tâche de la nurse consiste à s'occuper du linge parce qu'il faut sans cesse le distribuer, le changer, compter les pièces et en prendre note. Aussi, n'ont-elles pas de temps à consacrer aux enfants ".
A la fin du troisième mois, elles renvoient toutes les nurses. Au lieu de nurses qualifiées, elles engagent des jeunes filles sans formation professionnelle, même ayant fait très peu d'études mais s'intéressant à l'éducation des enfants. Elles leur enseignent les soins, et pas simplement les techniques, mais aussi comment les enfants, même les plus jeunes, doivent se sentir à l'aise pendant ces soins. Elles apprennent à ces jeunes filles une méthode précise et cohérente : comment il faut donner à manger aux enfants, changer leurs couches les baigner et les habiller -justement pour qu'elles ne soient pas obligées de se presser au cours de ces opérations, qu'elles puissent s'occuper d'eux avec tendresse, tout en prenant en considération leurs besoins individuels et en réagissant à leurs signes. Elles leur apprennent les gestes délicats et fins, en soulignant tout particulièrement le fait que l'enfant - quel que soit son âge - est sensible à tout ce qui lui arrive, qu'il sent, observe, enregistre et comprend les choses ou bien, avec le temps, les comprendra, à condition que la possibilité lui en soit donnée.
Elles leur apprennent aussi à observer les enfants, à essayer de comprendre ce que la position de leurs corps, leurs gestes et leurs voix expriment et à consacrer toujours assez de temps aux soins sans jamais se presser, à satisfaire leurs besoins selon les exigences de chacun. Elles leur apprennent encore que, pendant les soins, elles doivent parler, même aux nourrissons les plus jeunes, et que, par leurs paroles et leurs gestes, elles doivent leur avertir de tout ce qu'elles vont leur faire ou de tout ce qui va leur arriver ; qu'elles doivent faire attention à la manière dont l'enfant réagit à leurs paroles et à leurs gestes, qu'elles doivent lui donner la possibilité de participer par des gestes exprimant soit la collaboration soit la protestation, qu'elles doivent faire des efforts pour que l'enfant ait envie de faire ce qu'on attend de lui, sans le lui imposer.
Elles leur apprennent encore qu'une nurse, travaillant par roulement avec un groupe de 10 enfants, doit coopérer avec les autres nurses et doit, dès le début, tenir un cahier pour chaque enfant, prenant note non seulement de son poids, de ces repas, de la quantité exacte de ce qu'il mange, etc., mais aussi de tout ce qui lui arrive et de tout ce qu'elle observe à son sujet.
Finalement, les nurses suivaient attentivement - et notaient avec plaisir- toutes les tentatives et les manifestations de moindre importance du développement de l'enfant. Elles remarquaient, et comprenaient de mieux en mieux, que le nourrisson ou le petit enfant sain et équilibré n'avait pas besoin qu'on lui apprenne comment il devait marcher ou jouer mais que ses tentatives indépendantes et répétées, et les expériences acquises au cours de ses activités précédentes, lui permettaient de se développer avec joie, et le plus harmonieusement possible. Les nurses constataient et comprenaient aussi que le désir d'activité de l'enfant dépend également et dans une large mesure, de la joie, de l'intimité et du sentiment de sécurité qu'il éprouve pendant les soins avec un adulte bien connu.
Ces deux principes fondamentaux, élaborés par Emmi Pikler lorsqu'elle aidait les familles à élever leurs enfants et qui constituaient donc la base de tout son système d'éducation, ont acquis une importance accrue dans des conditions institutionnelles, ils sont devenus une sorte de leitmotiv, un ensemble dont chaque élément présuppose l'autre.
QUELQUES REPERES BIOGRAPHIQUES
Emmi Pikler, pédiatre et pédagogue (1902-1984)
1902 : naissance d'Emmi Pikler Reich à Vienne, de père hongrois et de mère autrichienne.
1920-1930 : études de médecine puis de pédiatrie à Vienne, ville qui est, à cette époque, un carrefour culturel, artistique et politique dynamique et d'avant-garde, berceau de la psychanalyse. Pendant ses études, elle est sensibilisée à la prévention, à la recherche de conditions favorisant une bonne santé globale et à l'observation. De par son expérience en chirurgie-pédiatrique, elle pressent que les enfants actifs et qui exercent librement leur motricité sont plus prudents et connaissent mieux leurs capacités et leurs limites (voir le chapitre ci-dessus "présentation d'Emmi Pikler").
1930 : elle se marie à Trieste avec le pédagogue György Pikler. Ils s'installent à Budapest à la naissance de leur premier enfant en 1932, où elle exerce comme pédiatre de famille (pour des raisons politiques et du fait de ses origines juives, elle ne peut exercer dans le public). Elle effectue une visite hebdomadaire au domicile des enfants qu'elle suit, au cours de leur première année. Elle incite les parents à être à l'écoute de ce qu'exprime leur enfant et à rechercher, dans tous les détails de la vie quotidienne (alimentation, sommeil, jeux, habillement…), à favoriser non seulement la santé, mais aussi l'épanouissement de l'enfant. Elle est très disponible pour échanger avec eux sur tous les petits événements de la vie familiale.
1940 : elle publie son premier livre écrit à l'intention des parents "Que sait faire votre bébé" qui est plusieurs fois réédité en Hongrie et traduit en plusieurs langues. En Allemagne, le titre en est "Nourrissons paisibles, mères satisfaites" !
Cet ouvrage (épuisé dans sa traduction française) est illustré de "nombreuses photos qui témoignent de ce que l'enfant est capable de faire par lui-même, avec intérêt et efficacité, tout en étant paisible et gai"(2) Son travail en famille et ses publications ont aussi été violemment critiqués par des détracteurs qui dénonçaient "le drame de ces enfants abandonnés à eux-mêmes"(2)
(2) Citation d'A. Tardos in « Bébé vécu, bébé connu" 2002 (Journée d'étude - Recueil disponible à l'Association)
1946 : le gouvernement hongrois demande à E. Pikler de créer une pouponnière pour accueillir les enfants orphelins et abandonnés, juste après la guerre. Il met à sa disposition une grande maison, sur la colline des Roses, à Budapest, au n° 3 de la rue Lóczy.
Elle va inventer et mettre en place un mode de prise en charge de ces enfants séparés de leur famille tout à fait novateur et original (voir rubrique "Institut Pikler (Lóczy)").
1961 : Lóczy devient Pouponnière Méthodologique.
Un véritable travail de méthodologie et de recherche se met en place. Des écrits et des documents vidéos sont réalisés pour servir de soutien professionnel et méthodologique aux différentes pouponnières du pays et de support à la formation des cadres dirigeants (voir documentation sur rubrique "Institut Pikler (Lóczy)").
1970 :
· Publication d'un manuel pour la formation des nurses appelé "Le livre bleu". · Publication du livre d'E. Pikler "Se mouvoir en liberté dès le premier âge", compte-rendu de ses travaux de recherche sur le développement moteur (voir plus loin dans extrait " Recherche sur la motricité ")
1978 : E. Pikler prend sa retraite mais continue ses travaux de recherche jusqu'à son décès en 1984.
1986 : à l'occasion de son 40ème anniversaire, la pouponnière devient "Institut Pikler" en hommage à sa fondatrice.
2003 : à l'occasion du 100ème anniversaire de la naissance d' E. Pikler est organisé un Symposium international à Budapest "Grandir sans violence".
SES PRINCIPALES DECOUVERTES
ET TRAVAUX DE RECHERCHE
1) - Ses principales découvertes :
Myriam David, dans une journée d'étude(3) appelle brièvement quatre points concernant les principales découvertes d'Emmi Pikler :
(3) Journée d'étude du 13/12/03, « Bébé vécu, Bébé connu »(Introduction du Dr Myriam David)
1er point :
Une première donnée concerne le processus de développement du bébé. Emmi Pikler a montré que celui-ci est programmé, se déroule spontanément, dans un ordre donné. Point n'est besoin d'apprendre au bébé à se retourner, à ramper, se tenir debout, marcher, toucher, saisir, lâcher un objet, etc. Tout cela le bébé est capable de le faire, de lui-même, à mesure qu'il est exposé aux possibilités nouvelles apportées de jour en jour par son développement sensori-moteur.
2ème point :
La contribution majeure d'Emmi Pikler concerne le rôle essentiel que l'activité spontanée du bébé joue dans son développement. En effet, elle découvre combien le bébé prend plaisir et intérêt à exercer son activité spontanée et comment il se saisit des possibilités nouvelles offertes par son développement sensori-moteur, progressant ainsi de jour en jour à petits pas dans ses capacités et découvertes, au rythme de ce développement, chaque petit pas précédant et préparant le suivant dans un processus continu et dans un ordre donné. Ce faisant, le bébé ne poursuit pas un but, il va à l'aventure, découvre à tâtons, reproduit, maîtrise chaque acquisition au fur et à mesure de la poursuite de son chemin. On le voit capable à cet égard de faire de grands efforts et de ténacité, mais capable aussi de se reposer, parfois de regarder ailleurs, puis retourner à sa tâche.
Au travers de l'exercice de cette activité spontanée, le bébé est en vérité le moteur, l'animateur de la progression de son développement global : psycho-moteur, cognitif, psychique.
3ème point :
Emmi Pikler montre l'importance de respecter toutes les manifestations spontanées du bébé, l'ordre et le rythme de leur apparition, la continuité de ce processus dont le bébé est auteur et acteur, parce que l'exercice de chaque pas prépare, sert de fondement au suivant. Il importe de ne pas le contrarier en faisant intrusion, en exposant par exemple le bébé à des postures qu'il n'a pas encore découvertes et qu'il n'est pas encore prêt à adopter, lui enlevant la joie de découvrir par lui-même et la confiance en ses propres capacités.
4ème point :
Emmi Pikler recherche donc les conditions qui autorisent et favorisent cette activité spontanée. Elle montre l'importance pour le bébé de bénéficier de trois espaces de vie bien distincts et qui s'alimentent l'un l'autre :
- Aire des soins corporels au sein d'une relation chaleureuse, intime avec la personne qui assure l'ensemble des soins et organise ces trois espaces. Cette intimité étant le fruit d'un regard attentif, permettant d'accéder à une connaissance du bébé réel, de ses progrès et acquisitions quotidiennes, de ses façons d'être, de ses capacités, celles déjà acquises, celles qu'il commence tout juste à exercer, celles qui s'annoncent, ceci favorisant la mise en œuvre des soins bien ajustés à l'état du bébé.
- Aire d'exercice de son activité par lui-même : espace de jeu et d'activité libre dans laquelle l'adulte n'intervient pas directement mais qu'il prend soin d'organiser de façon à assurer sa permanence quotidienne et la sécurité du bébé. Le cadre de cet espace, sa dimension, ses limites, son contenu étant pensés en fonction du développement du bébé, de ses goûts et intérêts.
- Aire de repos et de sommeil : la succession, le rythme, la durée respective, le contenu de chacun des espaces étant régulé en fonction de l'observation de l'état de l'enfant : état de développement, de vigilance, de fatigue, d'appétit, de satisfaction, etc. Afin que le bébé soit en état de bien-être corporel et qu'il puisse ainsi jouir pleinement de l'exercice de son activité spontanée dans chacun de ces espaces.
2) - Recherche et travaux sur la motricité : (4)
(4) Texte de Miriam RASSE in Revue « Vers l'éducation nouvelle » n°406 p 60 à 65 octobre 1986 sur « Se mouvoir en liberté, dès le 1er age » : un livre d'EMMI PIKLER
Le docteur E. Pikler a découvert dans les années 30, à partir de l'activité motrice spontanée des jeunes enfants, un développement psychomoteur " physiologique ". Les stades de ce développement sont atteints uniquement à l'initiative des enfants, sans intervention " enseignante " de l'adulte. Après avoir observé ce développement dans des familles, E. Pikler a poursuivi sa recherche dans la pouponnière hongroise qu'elle a dirigée de nombreuses années.
Le livre d'Emmi Pikler " Se mouvoir en liberté dès le 1er âge "(5) est une étude scientifique du développement de la motricité de jeunes enfants élevés dans cette institution. Une étude qui, grâce à de nombreux tableaux statistiques, révèle le comportement moteur de plus de 700 enfants sur une période de 17 ans de fonctionnement.
(5) 1970 - Epuisé ; diffusion sous forme de polycopiés en accord avec les éditions PUF
On y trouve aussi des comparaisons avec d'autres statistiques relevées dans plusieurs manuels de pédiatrie. La plupart de ces ouvrages font état du développement moteur de jeunes enfants évalué lors d'examens cliniques neurologiques ou sont constitués de conseils pédiatriques à l'intention des parents. La majorité de ces ouvrages spécialisés intègrent à leur description, comme préalable et accompagnement des processus de développement moteur, l'aide directe de la mère ou des parents dans l'acquisition des différentes étapes de ce développement ainsi que l'utilisation d'accessoires considérés comme naturels (car habituels), tels que les babyrelax, chaise haute, babytrot, parc, etc.
Or, c'est en ces points que l'expérience de l'Institut Lóczy se différencie des descriptions de pédiatres.
L'Institut Lóczy accueille des nourrissons âgés de quelques jours - orphelins ou dont les familles ne peuvent assurer plus ou moins provisoirement la prise en charge ; ils y restent au plus à cette époque, jusqu'à l'âge de 3 ans. Une réflexion sur les conditions d'accueil de ces jeunes enfants, une attention constante au développement de la personnalité de chaque enfant (une sécurité affective par attachement à un ou très peu d'adultes en particulier), permettent de leur assurer les bases nécessaires à la construction de leur personne (le fonctionnement de cet institut est longuement décrit dans l'ouvrage " Lóczy ou le maternage insolite " de G. Appell et M. David).
L'originalité de cette éducation, du point de vue du développement moteur, est la liberté proposée à ces enfants dès leur plus jeune âge et l'ouvrage d'E. Pikler relate l'observation de leur développement moteur dans leur vie quotidienne et non au cours de tests de leurs capacités.
La liberté motrice consiste à laisser libre cours à tous les mouvements spontanés de l'enfant, sans lui enseigner quelque mouvement que ce soit.
Le nourrisson sera toujours posé sur le dos tant qu'il ne sait pas, de lui-même, se tourner sur le ventre. Cette position sur le dos est celle qui permet le plus de détente (absence de tension pour soutenir sa tête) et le plus de possibilités d'activités propres à cet age (tourner sa tête, mouvoir ses jambes, ses pieds, ses bras et ses mains, bouger son tronc). Un enfant ne sera jamais mis dans une position qu'il ne sait déjà prendre de lui-même (on ne le mettra pas assis, ni debout avant qu'il ne le fasse de lui-même), on ne lui apprend pas à acquérir ces postures : il les découvre de lui-même, à partir de sa maturation neurologique et au gré de ses intérêts et de son désir d'expérimenter un nouveau mouvement. L'enfant essaie de nouveaux exercices, non pas poussé par un adulte qui attendrait de lui performances et précocité, mais parce qu'il se sent prêt à explorer une nouvelle possibilité, il en a envie et s'en perçoit capable.
Bien sûr, pour que l'enfant puisse développer sa motricité, un certain nombre de conditions sont nécessaires :
L'utilisation d'accessoires, de même que l'intervention directe de l'adulte dans l'acquisition de certains mouvements résulte souvent de l'inquiétude des adultes (" si on n'apprend pas à marcher à notre enfant, il ne saura jamais marcher tout seul ") ou d'un souci de fortifier les muscles et de lui faire faire des exercices moteurs. Or, toutes ces aides que l'adulte pense apporter à l'enfant entravent un développement harmonieux de sa motricité en provoquant des crispations empêchant la coordination de l'ensemble des parties du corps.
E. Pikler a constaté chez tous ces nombreux enfants qui ont développé leur motricité de façon spontanée et par leur activité autonome, l'apparition successive de postures fondamentales. De plus, tous ces mouvements libres de l'enfant sont eux-mêmes autant " d'exercices de gymnastique " qu'il expérimente puis maîtrise peu à peu, et ce sont ces exercices répétés des centaines de fois qui vont permettre à l'enfant de découvrir l'organisation dynamique globale de son corps, de ses différents muscles et ainsi le préparer peu à peu à toutes les positions successives de plus en plus complexes dont finalement les postions assise et debout. Alors que l'enfant assis dans une chaise ou calé avec des coussins, avant qu'il ne sache s'asseoir de lui-même, va se trouver " cloué " sur place, immobilisé, réduit à une même et unique posture ; il ne pourra même pas jouer avec des objets car son équilibre est si précaire qu'un mouvement pour attraper un jouet tombé va le déséquilibrer. Ces enfants mis dans des positions qu'ils ne maîtrisent pas, restent tributaires de l'adulte malgré leur agilité et leur mobilité grandissantes dans d'autres postures, déjà maîtrisées.
Cette liberté motrice permet à chaque enfant de se développer selon son rythme et les tableaux d'E. Pikler nous montrent une large dispersion des âges auxquels chaque enfant acquiert une nouvelle posture et favorise un bon équilibre, une bonne qualité de mouvement qui font constater, chez ces enfants, une grande harmonie et aisance corporelle.
Cette maîtrise de leur motricité se répercute sur le développement de toute la personnalité de ces enfants et influence leur développement psychique : ils acquièrent l'assurance dans leur corps ainsi que la prudence et apprennent à réagir avec adresse aux incidents inattendus et chutes qui peuvent accompagner leurs jeux.
Ces mouvements participent à la construction d'une sécurité intérieure et d'une conscience de leur propre valeur, de leur compétence ; en expérimentant et découvrant leurs possibilités motrices, ces enfants développent un esprit d'initiative, une curiosité et un intérêt pour la découverte du monde, ils font preuve d'attention et de persévérance dans leurs tentatives ; ils découvrent le plaisir de l'activité riche, autonome et éprouvent un sentiment de réussite. Ces mouvements actifs des enfants, dont ils prennent l'initiative, jouent un rôle prépondérant dans le développement de l'intelligence : connaissance du corps propre mais aussi du monde extérieur et des objets. Ils participent à toute démarche d'apprentissage et donc de connaissance en général.
Ce développement de l'activité autonome des enfants ne signifie nullement l'indifférence des adultes : chaque enfant a besoin de partager sa joie avec un adulte qui lui est cher, lorsqu'il fait une acquisition nouvelle. Les adultes sont attentifs aux progrès des enfants et y participent en organisant un environnement approprié aux besoins de développement de chaque âge et en recherchant les conditions de cette activité autonome de l'enfant. L'attitude de l'adulte favorisant cette liberté motrice s'inscrit dans une attitude générale qui consiste à respecter l'enfant, à le considérer comme une personne capable d'initiative et de décision pour ce qui le concerne lui seul : son corps.
(1) Extrait du Texte de J. Falk « Lóczy a 40 ans » 1986 - disponible à l'Association
C'est, dans la Vienne des années dix neuf cent vingt qu'Emmi Pikler fait ses études universitaires et prépare son diplôme de pédiatre, à la Clinique Pirquet. Elle a toujours considéré et mentionné le Professeur Pirquet et le Professeur Salzer, chirurgiens-pédiatres à l'Hôpital Mauthner Markhof, comme ses premiers maîtres. C'est là qu'elle s'est familiarisée avec la conception de la physiologie et de la prévention qui devait, par la suite, déterminer toutes ses activités.
Etudiant la pathologie, le diagnostic et la thérapie, elle observait aussi l'intérêt du professeur pour le mode de vie des enfants, dont il faisait prendre conscience à ses élèves et à ses collaborateurs. Par exemple, en plus des notions de diététique et de régime alimentaire, les jeunes médecins devaient d'abord s'initier aux soins et, plus exactement, aux moyens de rendre ces soins les moins pénibles possible pour les nourrissons et les petits enfants. Une règle stricte existait déjà qui interdisait de donner, même au nourrisson malade, une cuillerée de plus que ce qu'il acceptait volontiers au cours de ses repas.
Les enfants malades, en fonction de leur maladie et de leur état, n'étaient pas obligés de passer leurs journées au lit, mais des " coins de jeux " étaient aménagés même pour les plus jeunes d'entre eux, ce qui, à l'heure actuelle, n'est pas encore mis en place dans beaucoup d'établissements pédiatriques.
L'habillement même des nourrissons différait de ce qui était habituel à cette époque, et le fut encore longtemps : afin qu'ils puissent, par exemple, se déplacer librement ou bouger, leurs jambes n'étaient pas emprisonnées dans des langes mais leurs couches étaient ajustées pour former une culotte. Les enfants y compris les nourrissons, passaient plusieurs heures par jour, même en hiver, à l'air libre, sur les petits balcons de la clinique ou aux fenêtres transformées en balcons. Les enfants étaient bien protégés contre le froid mais, au lieu de les envelopper dans des couvertures, on les mettait dans des sacs de couchage.
Emmi Pikler avait l'impression qu'à la clinique Pirquet, " ils avaient déjà institué de manière exemplaire, la collaboration avec les jeunes enfants " comme elle l'écrivait dans la préface de sa monographie sur le développement moteur. Mais elle pensait que le " premier commandement " de la section de chirurgie de Salzer était encore plus exemplaire, à savoir qu'il était possible de pratiquer sur un nourrisson ou un jeune enfant l'examen ou les soins les plus douloureux sans qu'il pleure si la personne qui le faisait, maniait l'enfant avec des gestes délicats, avec sensibilité, prêtant attention à cet enfant vivant, fragile et réceptif qu'elle avait entre les mains.
A la section de chirurgie de cet hôpital de faubourg, l'attention d'Emmi Pikler était attirée par les statistiques sur les accidents. Chez les enfants du quartier ouvrier environnant, où les enfants jouaient et couraient dans les rues, grimpaient aux arbres et s'accrochaient aux tampons de trams, il y avait beaucoup moins de fractures et de commotions qu'ailleurs et, en particulier, que dans les beaux quartiers de la ville, là, les accidents se produisaient soit à l'intérieur de la maison, soit au cours des promenades.
L'enfant - discipliné et exagérément protégé d'une famille distinguée - était alors conduit, en cas d'accident chez un chirurgien renommé, et, en général, une gouvernante zélée s'occupait de lui tout le temps de son hospitalisation. A cette époque déjà, Emmi Pikler était persuadée que l'enfant qui se déplace librement, sans restriction, est plus prudent et apprend mieux à tomber sans risque, tandis que l'enfant exagérément protégé et dont les mouvements sont limités, est plus facilement en danger, faute d'avoir expérimenté ses propres capacités et leurs limites.
SES IDEES (1)
(1) Extrait du Texte de J. Falk « Lóczy a 40 ans » 1986 - disponible à l'Association
Très tôt, Emmi Pikler avait pressenti que le nourrisson, pour prendre, garder, ou abandonner les différentes positions du corps, pour changer de posture ou se déplacer, ou encore pour apprendre à se mettre debout et à marcher, n'avait aucun besoin de l'intervention de l'adulte, que l'enfant passif devenait une personne active de même qu'elle doutait que cette intervention puisse accélérer le développement du nourrisson. Et d'ailleurs, si tel était le cas, elle ne pensait pas que cela constituait un avantage au point de vue de son mode de vie et son développement.
Elle fondait ses opinions non seulement sur ses expériences professionnelles, mais aussi sur les idées de son mari pédagogue progressiste. Lors de la naissance de leur premier enfant, au début des années trente, elle décida de ne pas hâter son développement, de respecter son rythme individuel et de lui assurer, dès le début, la possibilité de prendre des initiatives, de se mouvoir librement et de jouer à sa guise. Ses parents ne placèrent jamais l'enfant dans une posture qu'il n'était pas encore capable de prendre ou d'abandonner tout seul, ils ne lui firent jamais faire de mouvements divers et ils s'abstinrent d'exercer une influence directe sur son développement moteur. En revanche, ils créèrent les conditions lui permettant de vivre dans la sérénité et l'harmonie, lui assurant l'espace nécessaire aux mouvements libres, et même un peu plus que ce dont il était capable de profiter ; ils veillèrent à ce que les vêtements ne l'empêchent pas de poursuivre ses activités, à ce que ses jouets, dont il se servait sans l'aide de quiconque, lui offrent des expériences adéquates, enfin à ce que, tout en se sentant entouré des soins affectueux de ses parents, il ait envie d'essayer toutes sortes d'activités et de connaître le monde et lui-même.
Naturellement, Emmi Pikler ne se serait jamais décidée à tenter cette expérience si elle n'avait pas été convaincue de la justesse de son hypothèse ; elle estimait que, dans de telles circonstances, l'enfant qui suit son rythme propre et fait ses propres expériences, est capable de mieux apprendre à s'asseoir, se mettre debout, marcher, jouer, parler, réfléchir, etc. que celui que l'on incite à atteindre les différents stades de développement que les adultes estiment correspondre à son âge.
Etant donné que le développement de leur enfant répondait, dans tous les domaines, à l'attente de son mari et à la sienne, Emmi Pikler, de retour de Hongrie, devenue pédiatre de famille, a encouragé dans le même esprit, pendant une dizaine d'années, l'éducation de plus de 100 nourrissons et petits enfants.
En prodiguant aux parents des conseils mûrement réfléchis et très détaillés, fondés sur ses observations régulières et continues, elle les a aidés, avant tout, à avoir confiance dans la capacité de développement de leur enfant. En tenant compte des besoins de l'enfant, ils organisaient soigneusement un mode de vie tranquille et harmonieux, en respectant son rythme de sommeil et d'éveil, en établissant un régime alimentaire équilibré mais simple, défini avant tout par l'appétit de l'enfant. Ils déterminaient aussi combien de temps l'enfant pouvait rester dehors, hiver comme été.
Ils n'intervenaient ni dans ses mouvements ni dans ses jeux, ne lui faisaient pas faire d'exercices mais mettaient à sa disposition un endroit adéquat, même dans les appartements les plus petits. Les meilleures occasions d'être régulièrement avec leur enfant leur étaient offertes, essentiellement, par les repas, les changes, le bain et l'habillage.
Au cours de toutes ces activités, les parents tentaient de ne pas se presser et de prendre en considération les besoins et les réactions de l'enfant, même si sa participation aux soins ralentissait les opérations : ils pouvaient alors savourer ce qui se passait entre eux.
Emmi Pikler a rassemblé l'expérience de toutes ces années dans son premier livre " Que sait faire votre bébé ? " dont dix éditions ont été publiées en Hongrie et à l'étranger.
Emmi Pikler pouvait constater que les enfants étaient généralement gais, curieux, vifs et actifs, qu'ils se développaient harmonieusement et que leurs rapports avec leurs parents et leur entourage étaient bons. Quant aux parents, eux aussi étaient contents. Bien que le système d'éducation qu'elle proposait ait exigé d'eux de réfléchir à l'organisation de leur vie et de leur environnement plus qu'ils ne le faisaient habituellement, pour que l'enfant soit et se sente vraiment en sécurité, les parents acceptaient de mettre en pratique ses conseils et étaient fiers et satisfaits de leur rôle. Ils étaient convaincus du bien-fondé de ses idées et constataient que leur enfant acquérait des expériences intéressantes, sans que leur intervention, au cours de ses activités indépendantes : ils ne pensaient pas que, pour pouvoir se considérer comme de bons parents, ils devaient toujours être à proximité de leur enfant, ni qu'ils étaient obligés de faire tout le temps quelque chose avec lui. Les enfants qui sont absorbés par leurs essais et leurs activités indépendants, n'exigent pas de leurs parents qu'ils soient présents en permanence, qu'ils participent à leurs activités, les distraient ou les aident continuellement puisque, même sans eux, ils ne se sentent pas impuissants. Les parents, à leur tour, constatant l'activité sereine et indépendante de leurs enfants et conscients de la valeur de cette activité, peuvent sans sentiment de culpabilité, s'occuper d'autre chose, de leur passe-temps, par exemple, tout en restant évidemment à portée de vue et de voix .Ils ne se sentent pas esclaves de leurs enfants et ne le considèrent pas comme leur jouet. Ils trouvent plaisir à observer son activité et son développement, sont heureux en sa compagnie et dans leurs rapports avec lui. Ils attendent avec impatience le moment de se retrouver ensemble et si l'enfant essaye de prolonger ces moments en jouant, les parents ne considèrent pas cela comme de l'agressivité ou un comportement agaçant.
Les " enfants Pikler " d'autrefois ont grandi depuis longtemps et ont prouvé, par leur vie, leur travail et, ce qui n'est pas le moins important, l'éducation qu'ils donnent à leurs enfants et leur comportement de parents, que l'aide que leurs propres parents avaient reçue avait été bénéfique.
LA CREATION DE L'INSTITUT PIKLER (LÓCZY) (1),
des objectifs précis mais des débuts difficiles :
(1) Extrait du Texte de J. Falk « Lóczy a 40 ans » 1986 - disponible à l'Association
Lorsqu'en 1946 Emmi Pikler est chargée d'organiser et de diriger la pouponnière de la rue Lóczy, elle se fixe trois objectifs :
Elle était enthousiasmée d'avoir à prouver, même si cela était beaucoup plus difficile que dans une famille, qu'il était possible de créer, à l'intérieur d'une institution, les conditions permettant aux nourrissons et aux petits enfants de se développer normalement, tant au point de vue physique que psychique. Elle était certaine que le fil conducteur qui lui permettrait de mener à bien cette tâche, résidait dans les principes et les méthodes définies pendant ses observations dans le cadre de l'éducation en famille.
Si les enfants, élevés dans l'Institut se développaient bien, cela constituerait la véritable pierre de touche de ses principes et de ses méthodes : on ne pourrait plus penser que les " enfants Pikler " d'autrefois se développaient bien - malgré ses principes et ses méthodes - parce que les parents n'appliquaient pas peut-être ceux-ci, d'une façon conséquente ou bien qu'ils les contrebalançaient d'une autre manière. Le deuxième objectif était donc la mise à l'épreuve de son système d'éducation.
Le troisième était de pouvoir faire des observations longitudinales sur le développement de nourrissons et de petits enfants bien portants et les conditions de ce développement, et cela non dans une situation expérimentale mais dans les circonstances de la vie quotidienne qui sont bien définies, que l'on peut décrire et contrôler.
Grâce aux notes d'Emmi Pikler et de Maria Reinitz, sa collègue devenue la première nurse en chef de Lóczy, nous connaissons les conditions difficiles dans lesquelles le travail a commencé à la pouponnière qui, au début, comptait 35 places au total :
A propos des locaux: " Dans chaque pièce, il y a des lits d'hôpital blancs avec des oreillers durs et des couvertures rêches. Seuls les sacs de couchage bleu clair sont jolis. Le matin il fait froid, les enfants n'ont pas de pantoufles et il n'y a pas d'étoffe pour en faire. L'eau pour le bain doit être chauffée dans la cuisine d'où il faut la monter. Il n'y a pas une goutte de lait ". " J'essaie de mettre de côté 10 boîtes de conserve qui serviront de bols et que seuls les enfants utiliseront. Il n'y a pas de verre gradué - écrit Maria Reinitz - et pourtant je ne cesse d'en réclamer. Le 26 juillet, on nous a envoyé du centre, deux boîtes de conserves marquées de six encoches et j'ai dû signer que je prenais possession de deux verres gradués !
Mais avec cela, on ne peut mesurer avec précision, il faut donc utiliser la louche ; si elle n'est pas tout à fait remplie, cela correspond à 150 grammes. Il est difficile d'exiger un travail précis dans ces conditions ".
A propos du personnel, voici un autre extrait du journal de Maria Reinitz ; " Au cours de ces trois semaines, deux femmes de ménage, deux lingères et deux filles de cuisine ont quitté la maison. Pour le moment nous avons une femme de ménage qui ne travaille guère : elle a touché un si petit salaire que cela ne vaut pas la peine de travailler. La nourriture ne suffit pas non plus. La lingère n'accepte de travailler que parce que nous gardons sa petite fille ici…La biberonnière ne cesse de répéter : " Bien, bien, je ferai exactement comme tu le dis, tu peux monter tranquillement ". Mais lorsque je redescends dans la cuisine, il n'y a pas d'eau chaude. Le morceau de tissu nécessaire à la préparation du jus de carotte n'a pas été ébouillanté. Je suis, semble-t-il, incapable de lui faire comprendre l'importance de cette opération. Elle le fait parce que je suis là mais estime certainement que c'est tout à fait superflu et s'en abstiendra sûrement la prochaine fois ".
Mais le plus grand souci est causé par les nurses. D'après Emmi Pikler : " c'est avec d'énormes difficultés que nous avons lutté pour des choses absolument indispensables et nous avons encore eu plus de mal pour accomplir du bon travail. Les nurses détestaient ce style de travail qu'elles ne connaissaient pas ". Citons encore Maria Reinitz : " Les nurses sont pleines de méfiance. Elles ne sont pas surchargées de travail, mais l'idée ne leur viendrait pas de faire quelque chose avec soin et attention. Elles ne s'occupent pas des enfants, elles les changent, les " font manger " le plus rapidement possible, avec le moins de mouvements possibles et, si elles en ont la possibilité, font tout faire par le personnel de service. D'après elles, la tâche de la nurse consiste à s'occuper du linge parce qu'il faut sans cesse le distribuer, le changer, compter les pièces et en prendre note. Aussi, n'ont-elles pas de temps à consacrer aux enfants ".
A la fin du troisième mois, elles renvoient toutes les nurses. Au lieu de nurses qualifiées, elles engagent des jeunes filles sans formation professionnelle, même ayant fait très peu d'études mais s'intéressant à l'éducation des enfants. Elles leur enseignent les soins, et pas simplement les techniques, mais aussi comment les enfants, même les plus jeunes, doivent se sentir à l'aise pendant ces soins. Elles apprennent à ces jeunes filles une méthode précise et cohérente : comment il faut donner à manger aux enfants, changer leurs couches les baigner et les habiller -justement pour qu'elles ne soient pas obligées de se presser au cours de ces opérations, qu'elles puissent s'occuper d'eux avec tendresse, tout en prenant en considération leurs besoins individuels et en réagissant à leurs signes. Elles leur apprennent les gestes délicats et fins, en soulignant tout particulièrement le fait que l'enfant - quel que soit son âge - est sensible à tout ce qui lui arrive, qu'il sent, observe, enregistre et comprend les choses ou bien, avec le temps, les comprendra, à condition que la possibilité lui en soit donnée.
Elles leur apprennent aussi à observer les enfants, à essayer de comprendre ce que la position de leurs corps, leurs gestes et leurs voix expriment et à consacrer toujours assez de temps aux soins sans jamais se presser, à satisfaire leurs besoins selon les exigences de chacun. Elles leur apprennent encore que, pendant les soins, elles doivent parler, même aux nourrissons les plus jeunes, et que, par leurs paroles et leurs gestes, elles doivent leur avertir de tout ce qu'elles vont leur faire ou de tout ce qui va leur arriver ; qu'elles doivent faire attention à la manière dont l'enfant réagit à leurs paroles et à leurs gestes, qu'elles doivent lui donner la possibilité de participer par des gestes exprimant soit la collaboration soit la protestation, qu'elles doivent faire des efforts pour que l'enfant ait envie de faire ce qu'on attend de lui, sans le lui imposer.
Elles leur apprennent encore qu'une nurse, travaillant par roulement avec un groupe de 10 enfants, doit coopérer avec les autres nurses et doit, dès le début, tenir un cahier pour chaque enfant, prenant note non seulement de son poids, de ces repas, de la quantité exacte de ce qu'il mange, etc., mais aussi de tout ce qui lui arrive et de tout ce qu'elle observe à son sujet.
Finalement, les nurses suivaient attentivement - et notaient avec plaisir- toutes les tentatives et les manifestations de moindre importance du développement de l'enfant. Elles remarquaient, et comprenaient de mieux en mieux, que le nourrisson ou le petit enfant sain et équilibré n'avait pas besoin qu'on lui apprenne comment il devait marcher ou jouer mais que ses tentatives indépendantes et répétées, et les expériences acquises au cours de ses activités précédentes, lui permettaient de se développer avec joie, et le plus harmonieusement possible. Les nurses constataient et comprenaient aussi que le désir d'activité de l'enfant dépend également et dans une large mesure, de la joie, de l'intimité et du sentiment de sécurité qu'il éprouve pendant les soins avec un adulte bien connu.
Ces deux principes fondamentaux, élaborés par Emmi Pikler lorsqu'elle aidait les familles à élever leurs enfants et qui constituaient donc la base de tout son système d'éducation, ont acquis une importance accrue dans des conditions institutionnelles, ils sont devenus une sorte de leitmotiv, un ensemble dont chaque élément présuppose l'autre.
QUELQUES REPERES BIOGRAPHIQUES
Emmi Pikler, pédiatre et pédagogue (1902-1984)
1902 : naissance d'Emmi Pikler Reich à Vienne, de père hongrois et de mère autrichienne.
1920-1930 : études de médecine puis de pédiatrie à Vienne, ville qui est, à cette époque, un carrefour culturel, artistique et politique dynamique et d'avant-garde, berceau de la psychanalyse. Pendant ses études, elle est sensibilisée à la prévention, à la recherche de conditions favorisant une bonne santé globale et à l'observation. De par son expérience en chirurgie-pédiatrique, elle pressent que les enfants actifs et qui exercent librement leur motricité sont plus prudents et connaissent mieux leurs capacités et leurs limites (voir le chapitre ci-dessus "présentation d'Emmi Pikler").
1930 : elle se marie à Trieste avec le pédagogue György Pikler. Ils s'installent à Budapest à la naissance de leur premier enfant en 1932, où elle exerce comme pédiatre de famille (pour des raisons politiques et du fait de ses origines juives, elle ne peut exercer dans le public). Elle effectue une visite hebdomadaire au domicile des enfants qu'elle suit, au cours de leur première année. Elle incite les parents à être à l'écoute de ce qu'exprime leur enfant et à rechercher, dans tous les détails de la vie quotidienne (alimentation, sommeil, jeux, habillement…), à favoriser non seulement la santé, mais aussi l'épanouissement de l'enfant. Elle est très disponible pour échanger avec eux sur tous les petits événements de la vie familiale.
1940 : elle publie son premier livre écrit à l'intention des parents "Que sait faire votre bébé" qui est plusieurs fois réédité en Hongrie et traduit en plusieurs langues. En Allemagne, le titre en est "Nourrissons paisibles, mères satisfaites" !
Cet ouvrage (épuisé dans sa traduction française) est illustré de "nombreuses photos qui témoignent de ce que l'enfant est capable de faire par lui-même, avec intérêt et efficacité, tout en étant paisible et gai"(2) Son travail en famille et ses publications ont aussi été violemment critiqués par des détracteurs qui dénonçaient "le drame de ces enfants abandonnés à eux-mêmes"(2)
(2) Citation d'A. Tardos in « Bébé vécu, bébé connu" 2002 (Journée d'étude - Recueil disponible à l'Association)
1946 : le gouvernement hongrois demande à E. Pikler de créer une pouponnière pour accueillir les enfants orphelins et abandonnés, juste après la guerre. Il met à sa disposition une grande maison, sur la colline des Roses, à Budapest, au n° 3 de la rue Lóczy.
Elle va inventer et mettre en place un mode de prise en charge de ces enfants séparés de leur famille tout à fait novateur et original (voir rubrique "Institut Pikler (Lóczy)").
1961 : Lóczy devient Pouponnière Méthodologique.
Un véritable travail de méthodologie et de recherche se met en place. Des écrits et des documents vidéos sont réalisés pour servir de soutien professionnel et méthodologique aux différentes pouponnières du pays et de support à la formation des cadres dirigeants (voir documentation sur rubrique "Institut Pikler (Lóczy)").
1970 :
· Publication d'un manuel pour la formation des nurses appelé "Le livre bleu". · Publication du livre d'E. Pikler "Se mouvoir en liberté dès le premier âge", compte-rendu de ses travaux de recherche sur le développement moteur (voir plus loin dans extrait " Recherche sur la motricité ")
1978 : E. Pikler prend sa retraite mais continue ses travaux de recherche jusqu'à son décès en 1984.
1986 : à l'occasion de son 40ème anniversaire, la pouponnière devient "Institut Pikler" en hommage à sa fondatrice.
2003 : à l'occasion du 100ème anniversaire de la naissance d' E. Pikler est organisé un Symposium international à Budapest "Grandir sans violence".
SES PRINCIPALES DECOUVERTES
ET TRAVAUX DE RECHERCHE
1) - Ses principales découvertes :
Myriam David, dans une journée d'étude(3) appelle brièvement quatre points concernant les principales découvertes d'Emmi Pikler :
(3) Journée d'étude du 13/12/03, « Bébé vécu, Bébé connu »(Introduction du Dr Myriam David)
1er point :
Une première donnée concerne le processus de développement du bébé. Emmi Pikler a montré que celui-ci est programmé, se déroule spontanément, dans un ordre donné. Point n'est besoin d'apprendre au bébé à se retourner, à ramper, se tenir debout, marcher, toucher, saisir, lâcher un objet, etc. Tout cela le bébé est capable de le faire, de lui-même, à mesure qu'il est exposé aux possibilités nouvelles apportées de jour en jour par son développement sensori-moteur.
2ème point :
La contribution majeure d'Emmi Pikler concerne le rôle essentiel que l'activité spontanée du bébé joue dans son développement. En effet, elle découvre combien le bébé prend plaisir et intérêt à exercer son activité spontanée et comment il se saisit des possibilités nouvelles offertes par son développement sensori-moteur, progressant ainsi de jour en jour à petits pas dans ses capacités et découvertes, au rythme de ce développement, chaque petit pas précédant et préparant le suivant dans un processus continu et dans un ordre donné. Ce faisant, le bébé ne poursuit pas un but, il va à l'aventure, découvre à tâtons, reproduit, maîtrise chaque acquisition au fur et à mesure de la poursuite de son chemin. On le voit capable à cet égard de faire de grands efforts et de ténacité, mais capable aussi de se reposer, parfois de regarder ailleurs, puis retourner à sa tâche.
Au travers de l'exercice de cette activité spontanée, le bébé est en vérité le moteur, l'animateur de la progression de son développement global : psycho-moteur, cognitif, psychique.
3ème point :
Emmi Pikler montre l'importance de respecter toutes les manifestations spontanées du bébé, l'ordre et le rythme de leur apparition, la continuité de ce processus dont le bébé est auteur et acteur, parce que l'exercice de chaque pas prépare, sert de fondement au suivant. Il importe de ne pas le contrarier en faisant intrusion, en exposant par exemple le bébé à des postures qu'il n'a pas encore découvertes et qu'il n'est pas encore prêt à adopter, lui enlevant la joie de découvrir par lui-même et la confiance en ses propres capacités.
4ème point :
Emmi Pikler recherche donc les conditions qui autorisent et favorisent cette activité spontanée. Elle montre l'importance pour le bébé de bénéficier de trois espaces de vie bien distincts et qui s'alimentent l'un l'autre :
- Aire des soins corporels au sein d'une relation chaleureuse, intime avec la personne qui assure l'ensemble des soins et organise ces trois espaces. Cette intimité étant le fruit d'un regard attentif, permettant d'accéder à une connaissance du bébé réel, de ses progrès et acquisitions quotidiennes, de ses façons d'être, de ses capacités, celles déjà acquises, celles qu'il commence tout juste à exercer, celles qui s'annoncent, ceci favorisant la mise en œuvre des soins bien ajustés à l'état du bébé.
- Aire d'exercice de son activité par lui-même : espace de jeu et d'activité libre dans laquelle l'adulte n'intervient pas directement mais qu'il prend soin d'organiser de façon à assurer sa permanence quotidienne et la sécurité du bébé. Le cadre de cet espace, sa dimension, ses limites, son contenu étant pensés en fonction du développement du bébé, de ses goûts et intérêts.
- Aire de repos et de sommeil : la succession, le rythme, la durée respective, le contenu de chacun des espaces étant régulé en fonction de l'observation de l'état de l'enfant : état de développement, de vigilance, de fatigue, d'appétit, de satisfaction, etc. Afin que le bébé soit en état de bien-être corporel et qu'il puisse ainsi jouir pleinement de l'exercice de son activité spontanée dans chacun de ces espaces.
2) - Recherche et travaux sur la motricité : (4)
(4) Texte de Miriam RASSE in Revue « Vers l'éducation nouvelle » n°406 p 60 à 65 octobre 1986 sur « Se mouvoir en liberté, dès le 1er age » : un livre d'EMMI PIKLER
Le docteur E. Pikler a découvert dans les années 30, à partir de l'activité motrice spontanée des jeunes enfants, un développement psychomoteur " physiologique ". Les stades de ce développement sont atteints uniquement à l'initiative des enfants, sans intervention " enseignante " de l'adulte. Après avoir observé ce développement dans des familles, E. Pikler a poursuivi sa recherche dans la pouponnière hongroise qu'elle a dirigée de nombreuses années.
Le livre d'Emmi Pikler " Se mouvoir en liberté dès le 1er âge "(5) est une étude scientifique du développement de la motricité de jeunes enfants élevés dans cette institution. Une étude qui, grâce à de nombreux tableaux statistiques, révèle le comportement moteur de plus de 700 enfants sur une période de 17 ans de fonctionnement.
(5) 1970 - Epuisé ; diffusion sous forme de polycopiés en accord avec les éditions PUF
On y trouve aussi des comparaisons avec d'autres statistiques relevées dans plusieurs manuels de pédiatrie. La plupart de ces ouvrages font état du développement moteur de jeunes enfants évalué lors d'examens cliniques neurologiques ou sont constitués de conseils pédiatriques à l'intention des parents. La majorité de ces ouvrages spécialisés intègrent à leur description, comme préalable et accompagnement des processus de développement moteur, l'aide directe de la mère ou des parents dans l'acquisition des différentes étapes de ce développement ainsi que l'utilisation d'accessoires considérés comme naturels (car habituels), tels que les babyrelax, chaise haute, babytrot, parc, etc.
Or, c'est en ces points que l'expérience de l'Institut Lóczy se différencie des descriptions de pédiatres.
L'Institut Lóczy accueille des nourrissons âgés de quelques jours - orphelins ou dont les familles ne peuvent assurer plus ou moins provisoirement la prise en charge ; ils y restent au plus à cette époque, jusqu'à l'âge de 3 ans. Une réflexion sur les conditions d'accueil de ces jeunes enfants, une attention constante au développement de la personnalité de chaque enfant (une sécurité affective par attachement à un ou très peu d'adultes en particulier), permettent de leur assurer les bases nécessaires à la construction de leur personne (le fonctionnement de cet institut est longuement décrit dans l'ouvrage " Lóczy ou le maternage insolite " de G. Appell et M. David).
L'originalité de cette éducation, du point de vue du développement moteur, est la liberté proposée à ces enfants dès leur plus jeune âge et l'ouvrage d'E. Pikler relate l'observation de leur développement moteur dans leur vie quotidienne et non au cours de tests de leurs capacités.
La liberté motrice consiste à laisser libre cours à tous les mouvements spontanés de l'enfant, sans lui enseigner quelque mouvement que ce soit.
Le nourrisson sera toujours posé sur le dos tant qu'il ne sait pas, de lui-même, se tourner sur le ventre. Cette position sur le dos est celle qui permet le plus de détente (absence de tension pour soutenir sa tête) et le plus de possibilités d'activités propres à cet age (tourner sa tête, mouvoir ses jambes, ses pieds, ses bras et ses mains, bouger son tronc). Un enfant ne sera jamais mis dans une position qu'il ne sait déjà prendre de lui-même (on ne le mettra pas assis, ni debout avant qu'il ne le fasse de lui-même), on ne lui apprend pas à acquérir ces postures : il les découvre de lui-même, à partir de sa maturation neurologique et au gré de ses intérêts et de son désir d'expérimenter un nouveau mouvement. L'enfant essaie de nouveaux exercices, non pas poussé par un adulte qui attendrait de lui performances et précocité, mais parce qu'il se sent prêt à explorer une nouvelle possibilité, il en a envie et s'en perçoit capable.
Bien sûr, pour que l'enfant puisse développer sa motricité, un certain nombre de conditions sont nécessaires :
- Une relation harmonieuse et porteuse de sens avec les adultes qui prennent l'enfant en charge
- Des conditions matérielles, telles qu'un espace suffisant, un environnement riche et varié qui donne envie d'agir, des vêtements adéquats qui n'entravent pas les mouvements. De même, un enfant n'est jamais immobilisé dans une chaise, par exemple, ou gêné dans ses mouvements par un babytrot
- Au cours des contacts avec l'adulte, des " conditions posturales " évitant de provoquer, de manière répétitive, des crispations de l'enfant (manière de le prendre pour le soulever, de le tenir, de le porter, de lui donner des soins…)
L'utilisation d'accessoires, de même que l'intervention directe de l'adulte dans l'acquisition de certains mouvements résulte souvent de l'inquiétude des adultes (" si on n'apprend pas à marcher à notre enfant, il ne saura jamais marcher tout seul ") ou d'un souci de fortifier les muscles et de lui faire faire des exercices moteurs. Or, toutes ces aides que l'adulte pense apporter à l'enfant entravent un développement harmonieux de sa motricité en provoquant des crispations empêchant la coordination de l'ensemble des parties du corps.
E. Pikler a constaté chez tous ces nombreux enfants qui ont développé leur motricité de façon spontanée et par leur activité autonome, l'apparition successive de postures fondamentales. De plus, tous ces mouvements libres de l'enfant sont eux-mêmes autant " d'exercices de gymnastique " qu'il expérimente puis maîtrise peu à peu, et ce sont ces exercices répétés des centaines de fois qui vont permettre à l'enfant de découvrir l'organisation dynamique globale de son corps, de ses différents muscles et ainsi le préparer peu à peu à toutes les positions successives de plus en plus complexes dont finalement les postions assise et debout. Alors que l'enfant assis dans une chaise ou calé avec des coussins, avant qu'il ne sache s'asseoir de lui-même, va se trouver " cloué " sur place, immobilisé, réduit à une même et unique posture ; il ne pourra même pas jouer avec des objets car son équilibre est si précaire qu'un mouvement pour attraper un jouet tombé va le déséquilibrer. Ces enfants mis dans des positions qu'ils ne maîtrisent pas, restent tributaires de l'adulte malgré leur agilité et leur mobilité grandissantes dans d'autres postures, déjà maîtrisées.
Cette liberté motrice permet à chaque enfant de se développer selon son rythme et les tableaux d'E. Pikler nous montrent une large dispersion des âges auxquels chaque enfant acquiert une nouvelle posture et favorise un bon équilibre, une bonne qualité de mouvement qui font constater, chez ces enfants, une grande harmonie et aisance corporelle.
Cette maîtrise de leur motricité se répercute sur le développement de toute la personnalité de ces enfants et influence leur développement psychique : ils acquièrent l'assurance dans leur corps ainsi que la prudence et apprennent à réagir avec adresse aux incidents inattendus et chutes qui peuvent accompagner leurs jeux.
Ces mouvements participent à la construction d'une sécurité intérieure et d'une conscience de leur propre valeur, de leur compétence ; en expérimentant et découvrant leurs possibilités motrices, ces enfants développent un esprit d'initiative, une curiosité et un intérêt pour la découverte du monde, ils font preuve d'attention et de persévérance dans leurs tentatives ; ils découvrent le plaisir de l'activité riche, autonome et éprouvent un sentiment de réussite. Ces mouvements actifs des enfants, dont ils prennent l'initiative, jouent un rôle prépondérant dans le développement de l'intelligence : connaissance du corps propre mais aussi du monde extérieur et des objets. Ils participent à toute démarche d'apprentissage et donc de connaissance en général.
Ce développement de l'activité autonome des enfants ne signifie nullement l'indifférence des adultes : chaque enfant a besoin de partager sa joie avec un adulte qui lui est cher, lorsqu'il fait une acquisition nouvelle. Les adultes sont attentifs aux progrès des enfants et y participent en organisant un environnement approprié aux besoins de développement de chaque âge et en recherchant les conditions de cette activité autonome de l'enfant. L'attitude de l'adulte favorisant cette liberté motrice s'inscrit dans une attitude générale qui consiste à respecter l'enfant, à le considérer comme une personne capable d'initiative et de décision pour ce qui le concerne lui seul : son corps.
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